Cher Journal,
En termes de début d’année bien pourri, 2019 a explosé tous les records. A tel point que j’envisage de lui attribuer un prix spécial. Ajoutons à cela précarité, marché du travail avec des RH au discernement d’un ado sur Tinder et actualités lacrymogènes… Difficile de garder le moral au beau fixe.
Il y a un an et demi, alors que j’étais en PLS cosmique, j’ai lu en partie l’Intelligence Émotionnelle de Daniel Goleman. Un super ouvrage d’intérêt publique qui t’explique comment fonctionne le cerveau humain et les émotions. En gros, tout est lié : les stimulus de ton environnement vont conditionner les pensées qui émergent dans ta tête. Par environnement s’entend tout ce qui t’entoure : bruits, odeurs, couleurs, etc. Et mauvaise nouvelle, les émotions négatives s’auto-alimentent. C’est la guigne.
Alors, par la grâce et la puissance de l’écriture, je te propose une formule magique d’évocation de niveau 2, ainsi qu’un conseil pour enjoliver ton quotidien.
Éteints ces putins de chaînes d’infos en continu ! Elles devraient plutôt s’appeler chaînes de rabâchage en continue d’ailleurs. Pour les plus braves d’entre-vous, je vous lance un défi : une semaine sans actualités. Vous m’en direz des nouvelles. Grâce à ce jeûne, tu vas drastiquement baisser l’amertume sonore et visuelle de ton milieu ambiant. Maintenant, tu peux lire ce doux billet magique.
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C’est un matin, en semaine. Tu déambules dans les ruelles d’une vieille ville du sud de la France. Dans ta main, un petit sac en papier. C’est l’hiver mais les températures sont clémentes sous ces latitudes. Le ciel est d’un bleu éclatant et la luminosité agréablement éblouissante. Tes pas résonnent sur d’anciennes tommettes au teint majoritairement bleu, parfois rose, contrastant avec le gris des joints de maçonnerie. Les murs crépis ou de pierres de taille se parent d’ocre et parfois de couleurs pastelles telles que le vert ou le bleu. Plus rustiques, certaines façades aux pierres bosselées offrent de précieuses prises au lierre qui est décidément partout chez lui. En levant la tête, tu observes des rayons de soleil se refléter dans des fenêtres bigarrées : de vieille simple vitre aux boiseries malmenées par les saisons, de flambants pvc au montant d’un blanc immaculé, de rares fenêtres à meneaux stylisées sur les bâtiments les plus prestigieux. Surplombant les plus hautes menuiseries, des génoises de mortier et de tuiles canal indiquent la naissance d’un toit timide. Certaines sont ornées de gouttières hors d’âge et tu t’étonnes de voir quelques herbes folles dépasser de ces jardinières de zinc.
Tu as pénétré dans le centre historique par la Porte du Bourg Neuf donnant sur la rue éponyme : édifice du moyen-âge restauré et étincelant, agrémentée de mâchicoulis déversant de la lumière à la nuit tombée, une vierge noire à l’enfant t’accompagne du regard. La rue baigne dans une fraîcheur ombragée car elle est orientée est-ouest et les bâtiments serrés la protègent des rayons du soleil. Tes pas te portent à la rencontre d’une brise légère qui n’est pas désagréable. Quelques passants emmitouflés plus par crainte que par ressenti du froid cheminent à bon rythme. Mais toi, tu n’es pas pressé. Tu déambules en prenant tout le temps nécessaire pour te perdre dans les détails d’une double porte colossale ou d’une corniche élaborée.
La Place de la Révolution est partiellement ensoleillée. Un buste de Marianne perchée sur la colonne d’une fontaine bronze paisiblement tandis que chante l’eau jaillissant à sa base. Des bonnes odeurs de cuisine s’échappent des restaurant français et japonais se partageant cette coquette place cachée. Puis, à ton épaule gauche, l’imposante façade romane de l’église Saint-Michel t’accompagne jusqu’à ce que tu débouches sur la place du même nom. Ici tu peux observer un trompe-l’œil donnant à un immeuble moderne aux lignes cassées les apparences d’un édifices fortifiés d’une précoce Renaissance.
A ta gauche, baignée de soleil, la Place des Centuries t’attend, avec ses bars aux terrasses accueillantes. C’est ta destination. Ton but. Car il n’est de farniente matinal pleinement accompli sans une tasse de café crème joliment décorée d’un mandala issu de la généreuse fantaisie d’un serveur.
Tu t’installes. À une table un peu l’écart de préférence. Non que la place soit bondée, mais juste pour assurer ta tranquillité. Ici, point de vent. Tu te délectes de la douce chaleur prodiguée par les rayons d’un soleil bas. Ton visage et tes mains chauffent agréablement. Et rayonne sur ton visage un large sourire de satisfaction, celui qui crispe joyeusement les pommettes. Tu laisses la gravité faire son office et tu t’enfonces dans un siège de terrasse possessif, délesté de ton sac et de ta veste. Et tu penses au chat. Quand il dort comme un bienheureux entre cousin et astre solaire.
Mais farniente n’est pas sommeil ! Il faut ne rien faire, mais en pleine conscience. Le Sud est une terre spirituelle. Alors garde tes yeux ouverts et profite du paysage. Cette grande place compte d’autres bars et un panneau te propose d’admirer une exposition d’art. Pourquoi pas ? Tu as tout le temps. Face à toi, en dénivelée, un jardin gratifié d’oliviers est cerné par deux grands escaliers. A leur sommet, l’entrée du château de l’Empéri.
Vieux de plus de mille ans, cet imposant édifice veille sur la ville en arborant de puissantes murailles qui comme toi aussi lézardent au soleil. Développé au grè des époques, la pierre raconte à qui sait la lire les étapes d’une construction pluriséculaire. Haute de plusieurs mètres de haut, cette colossale façade immuable a le bon goût de réverbérer la lumière du soleil. Personnellement, je ne vois pas pour quelles autres raisons on s’enquiquinerait à bâtir des murs si haut. Ce qui fait le charme de cette forteresse c’est qu’elle a vécu : fenêtres et fissures rebouchées, créneaux manquant à l’appel et impacts de balles. C’est qu’en 1909, le château affronta un terrible ennemi. Un séisme qui ébranla la région. Aujourd’hui encore, on peut visiter la chapelle éventrée à l’extrémité nord, tout en profitant d’une vue panoramique sur la ville.
Alors que tu es en train de rêvasser en fixant une tour, un olivier ou une pie, un serveur t’apporte ton café au lait. Parce que oui, dans ce texte, tout est facile, tu n’as pas besoin de commander. D’ailleurs, le serveur peut être un beau ou une belle gosse. Choisis ce qui te fait plaisir. Parce que n’est pas ça qui est le plus important. Ce qui l’est, c’est le sac en papier que tu tiens fermement dans ta main depuis le début de ta flânerie.
C’est le moment de l’ouvrir.
Celui-ci crisse légèrement.
Tu y plonges ta main avec délectation, savourant à l’avance ce que tu vas y trouver.
Tes doigts entrent en contact avec une pâte feuilletée délicatement cuite.
Tu la saisis.
Lentement, tu la sors de sa pochette.
Et à tes yeux embués de gourmandises se dévoilent les écailles désordonnées et luminescentes de ton pain au chocolat encore chaud, craquant légèrement sous la pression de tes doigts. Tu le déposes religieusement sur une serviette carrée, à côté de ton café. Les fragrances de café et de chocolat se mêlent en un savoureux bouquet. Et c’est la classe. La plénitude. La perfection.
Le soleil, le château, les oliviers, la place rose et ocre, la table noire, le café, la chocolatine*.
Bon appétit Cher Journal,
Gros bisous.
PS : si tu lis ce texte alors que tu as faim et que tu n’as rien sous la main, c’est pas fait exprès.
*j’essaye de faire plaisir à tout le monde.J’aurai du choisir le croissant pour moins polémique.
Très belle plume beau verbe plein de poésie..Bravo!!!
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Tain… cela donne la nostalgie de te lire… Le bonjour M.
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