Cher Journal,
Eh bien voila, c’est fait. J’ai sauté le pas et me voila installé en Aveyron. Pour tout te dire, ça s’est fait un peu vite et je n’ai pas encore bien pris conscience d’avoir atterri. Un peu comme quand tu fais ton premier saut de chat en Parkour…
… Entre doute et ivresse, le temps se fige alors que tu exécutes ta figure, ce moment grisant d’incrédulité durant lequel tu te dis que tu es en train de réussir… « Jusqu’ici tout va bien » comme dirait l’autre.
Il y a peu, alors que je relançais une énième partie inachevée des Vieux Parchemins V : Bordeciel, je me répétais que j’aimerais bien vivre dans un endroit plus proche de la nature, sans dragons énervés. En plus, le jeu t’offre la possibilité de construire ta maison ! Dans un style à la fois épuré, rustique et chaleureux, il est possible d’ériger une bicoque dans des terres sauvages et indomptées aux pentes abruptes et aux arbres centenaires. Comme c’est un jeu vidéo, la construction est beaucoup plus simple que dans la vraie vie. Conscient des difficultés inhérentes à ce milieu, conscient que mes compétences en survie et en camping sont limitées, conscient enfin que le droit de conquête n’est plus trop à la mode, j’ai opté pour un sortilège de location (école de la conjuration). Empruntant quelques rituels abscons et compliquées aux arcanes administratives, moyennant quelques tours de grand huit émotionnels pour nourrir les entités d’Oblivion, les clefs sont finalement entrées en ma possession.

Ha pour sûr, ça change des quartiers malfamés, pardon, populaires, dans lesquels j’ai passé mes deux dernières années. Le paysage est d’un tout autre acabit, la pression humaine est plus que supportable (selon mes standards très rigoureux) et, cerise sur le gâteau, les gens sont sympas. Mais vraiment sympas ! Pas « sympa » pour te taxer une clope ou te vendre un truc. Sympa comme accueillant, prévenant, généreux. Bigre ! Voilà que je m’interroge : serais-je moins misanthrope que soumis à trop de mauvaises manières ?
Mais trêve de digression, laisse-moi te décrire mon nouveau lieu de vie.
Mon hameau (oui, c’est le mien) se tient à l’entrée du plateau de l’Aubrac, véritable contrefort nord à la vallée du Lot. Quoique le dénivelé y est important, les pentes sont relativement douces et les hauteurs constituent un paysage tout en rondeur, comme des nuages agglutinés les uns aux autres qu’on verrait au loin. Sur ces terres, les feuillus sont rois : chênes centenaires, châtaigniers, boulots, aubépines, pommiers sauvages, etc. La verdure domine en cette fin d’été bien que l’automne s’annonce avec les premières tombées de feuilles roussies par les chaleurs passées.

Arrivé sur les hauteurs, la rondeur des sommets permet l’élevage de la vache à viande iconique : l’Aubrac. J’aime cette vache. Les éleveurs disposent de troupeau d’une 30 de têtes, avec taureau, qui paissent tranquillement par petits groupes dans de larges enclos cernés de haies. Ces énormes mammifères se déplacent avec langueur (quand ils le font) ou se contentent de rester juste là, au soleil, à mastiquer, à observer les alentours de leurs larges yeux, à chasser les mouches avec leur queue ou d’un brusque mouvement de tête. Curieuses, certaines s’approchent. Plus prudents, les veaux fuient. Et ils ont bien raison…
Ces collines sont recouvertes de prairies bordées d’arbres et jouxtées de chemins creux. Ils permettent de rallier les hameaux voisins sous le feuillage des arbres, d’accéder à un point d’eau, à une forêt. Quant aux hameaux, les maisons semblent surgir du passé avec leur mur en pierre massive de basalte, de grès, ou de calcaire. Les toits sont en ardoise ou en lauze. Et il n’y a rien de plus badass que la lauze ! Basiquement, la tuile, c’est une pierre plate plus ou moins large selon qu’elle soit destinée à l’égout ou au faîtage. Quant aux charpentes, ornées de lucarnes ou de outeaux (bouuuuhh le velux !!!), elles sont souvent en chêne ou en châtaignier. Tout ceci fait de la vallée du Lot autant une terre de pierre que de bois. À titre d’exemple, les Bouches-du-Rhône sont une terre de pierre, la Savoie de bois. En un mot, les amateurs d’architectures ne seront pas déçus.
Tout ceci donne à la campagne un parfum d’éternité. Le temps s’écoule étrangement, rapide et figé à la fois. J’y sens une sorte d’enracinement, comme si ce bâti immémorial, comme si ces arbres vénérables et ces sentiers hors d’âge t’ancraient dans ce lieu. L’absence des multiples et envahissantes stimulations de la ville est un apaisement à lui tout seul. Bouuuuuh la pub !!!
Pour tout de dire, j’ai par moment le sentiment de flotter. C’est que partir s’installer dans un ailleurs, aussi beau et accueillant soit-il, où tout est nouveau, sans repères, ça a de quoi faire tourner la tête. Mais je me dis que ça fait parti de l’aventure. Pour la première fois, je me dis : « ça va bien s’passer, ne t’inquiéte pas ». Même s’il m’arrive de flipper grave par moment. Alors je mets ça sur le compte d’un milieu trop sain par rapport à celui d’avant. Tout changement, même positif reste un changement, et donc une adaptation, un chamboulement. Ici, je dois m’apprendre à tempérer mon agressivité. Si je me balade la nuit et que je croise quelqu’un, un salut chaleureux suffit. Je dois aussi revoir ma méfiance à la baisse. Et baisser sa garde, ce n’est pas simple. Pourtant, je vois bien que je n’ai plus besoin de faire des duels de regards face à des bandes de jeunes en virée nocturne. Quand je rentre dans une boutique, les gens ne changent pas de langue à ma vue et la discussion est aisée. Combien de fois m’a-t-on souhaité la bienvenue alors que j’expliquais, penaud, être nouveau. On ne m’en veut même pas quand je dis « pain au chocolat » !!!


Me voilà donc positif pour la suite et notamment pour la recherche de travail. Joueur, je me suis inscrit au rectorat pour faire des remplacements en tant que professeur remplaçant. Je dis joueur parce qu’entre les méandres de l’administration et la probabilité d’obtenir un poste dans de bonnes conditions… Eh bien je me dis parfois que j’aurai pu m’épargner un aller-retour à Toulouse pour un entretien de 20 minutes avec une personne qui n’a pas son mot à dire sur le recrutement mais qui constitue un dossier en vue d’un traitement par une commission de la « Direction du Personnel Enseignant » qui rendra son avis dans un délai lui-même établi par la « Commission des Délais », j’imagine… J’avoue en rajouter, j’ai été recruté dans le vivier des enseignants « contactables » en vue d’hypothétiques remplacements : une sorte de recrutement quantique en quelque sorte.
J’ai donc pris le parti de regarder les offres proches. Et je dois avouer que même le Pôle Emploi local est moins anxiogène. En parcourant les offres, je ne ressens pas du rejet mais une légère odeur de « vient on est bien ». Au traditionnel « recherche BAC+8, 13 ans d’expérience, moins de 25 ans, tous les permis du monde, 15 ans de yoga pour la flexibilité, 20 ans de méditation pour accepter n’importe quoi avec une conscience positive et le SMIC pour tout avantage », on a ici des offres avec les mentions : « Débutant accepté », « possibilité de formation » voire de « logement ». Parmi les offres que j’ai brossées ce matin, voici celles qui me font de l’œil : travailler en menuiserie ou en coutellerie.
En un mot, c’est autant enthousiasmant que flippant, avec cette impression diffuse que tout est possible tant les opportunités semblent infinies et les profils rencontrés atypiques, encore plus que le miens, et ce n’est pas rien.
Sur ce, je m’en vais te laisser Cher Journal, après m’être excusé auprès des gens qui vont apprendre mon départ par ce billet. Gens que j’aime, auquel je fais de très gros bisous et auquel je dédie ces quelques photos.
Gros bisous.



Le changement c’est la Vie! Lâcher-prise! Vive toi! Gros bisous, Yves.
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